Un répit, une pause...loin des fracas de la politique

Ewaele semblait flotter entre rêve et réalité. Depuis combien de temps cette femme éprouvée par la vie politique, et sans doute familiale ou sentimentale, ne s'était-elle plus sentie à l'aise en quelque endroit que ce fut ?

Le Manoir était sans aucun doute un endroit neutre dans ce sens. Je le voulais ainsi, Léa aussi... Ici, c'était une demeure familiale où la politique ne mettrait jamais les pieds. Nous avions des enfants à y élever, des amis à recevoir... Une faille dans toute l'acception du terme.
Miotas, mon neveu, et moi étions des exilés. La seule façon pour nous de supporter cet exil était de nous construire un rempart qui nous permette de nous épanouir en dépit de notre déracinement.

J'espérais que notre visiteuse le ressentirait ainsi... elle qui était, en quelque sorte une exilée également. Une compatriote, qui plus est. Cela me suffisait pour balayer toute forme de désaccord qu'il fut social ou politique. Nous étions entre gens issus du peuple... d'un peuple qui avait souffert de la mégalomanie des "Grands". Et cela n'était, hélas, pas près de cesser...

Je revins auprès de ma visiteuse, des gobelets et une carafe sur un plateau ,entre les mains. Je le posai sur la table basse entre l'âtre et la banquette et lui tendis en m'asseyant un des gobelets généreusement rempli d'un liquide ambré et parfumé à la tourbe irlandaise.

- Slainthe Ewa... Je bois au plaisir que tu me fais d'honorer ces lieux de ta présence. Je suppose que nous n'allons pas tarder à voir Léa et Miotas nous rejoindre... Et, cela ne supporte pas le moindre refus... nous te gardons à dîner ce soir ! Ajoutai-je d'un ton mi-figue, mi-raisin qui laissait néanmoins entendre ma fermeté à cet égard.

Pour couper court à une éventuelle protestation, je me levai et, ouvrant la porte de l'office où je savais pouvoir trouver Briana ou Léonie, je clamai d'une voix forte :

- Briana, Léonie, nous aurons un couvert de plus ce soir, demandez donc instruction à Dame Léanice, je vous prie !...

Invité

Tout cela ne pouvait être vrai. Elle avait tellement de mal à y croire. Deux jours auparavant elle rêvait de ces légendes dont son père lui avait tant parlé comme de chimères. Aujourd'hui elle se trouvait au cœur même de ce que son cerveau avait placé dans un coin sous le nom "d'imagination". Tout en songeant à ce qui était en train de lui arriver, Ewaële traversa sans vraiment s'en rendre compte une partie du manoir.
Elle venait d'arriver dans un vaste salon et tout autour d'elle n'était que merveille et enchantement, elle scruta la pièce, son visage restant serein et inexpressif alors que ses yeux d'émeraudes identiques à ceux d'un enfant émerveillé brillaient de mille feux. Après les premiers pas qu'elle fit dans cette décoration si luxuriante, son esprit et ses pensées s'apaisèrent. Elle ressentit alors soudain une allégresse intense et le besoin de s'exprimer pleinement. Ce fut alors bien étrange en son fort intérieur. Ce besoin de montrer ce qu'elle ressentait et cette force provenant de sa nature profonde qui l'empêchait de s'exprimer. Elle garda donc encore et toujours ce masque d'impassibilité tout en fredonnant doucement des airs de son peuple.

Mac la guidait très agréablement, et elle était impatiente de voir les autres membres de la famille, ou elle aurait pu dire «du clan»... A cette pensée son regard s'abaissa et se voila légèrement... Heureusement son hôte lui présentait un verre qu'elle ne refusa pour rien au monde, le levant en direction de son vis à vis, elle écoutait le cœur battant les mots d'accueil chaleureux... Merci a toi, Mac de m'avoir convié ici, je ne saurais t'exprimer ma gratitude pour ce geste, et la découverte que je viens de faire de votre demeure est pour moi... Elle avala sa salive difficilement... J'ai l'impression... 'Fin tu sais, les racines, tout ce que mon père a pu me raconter, j'ai été bercé par l'Irlande...
Nouvel émoi chez la jeune femme qui se laissa choir sur une assisse et porta le verre a ses lèvres, avalant le liquide cul sec. Elle posa le verre sur ses genoux laissant ses doigts vagabonder sur la matière…Elle n’osa décliner l’invitation espérant trouver un peu de chaleur et de réconfort…

Un bureau, une plume crisse sur le papier à la lueur vacillante d'une bougie. Un fils d'Éire est penché au dessus du plateau du meuble à étudier les plans pour l'embellissement du domaine de Saint Amand. Les annotant parfois et rayant certaines notes anciennes en grommelant des phrases où se mêlent des jurons gaéliques et des mots de la langue qu'il a appris à manier depuis son départ de la verte Éire. Il ne prends pas garde à la courte durée de vie de la chandelle qui lui permet de travailler dans sa lueur blafarde et soudain la mèche arrive à son terme et Aon Miotas se retrouve dans une obscurité à peine malmenée par la terne lumière qui perce par la fenêtre.

- Dearmadach! A quoi tu pense!!!

Tout en se traitant de tête en l'air, il quitte son cabinet privé en quête d'une ou deux chandelles pour finir son travail de la journée. Le domaine doit évoluer. Il descends l'escalier, les talons de ses bottes faisant résonner le bois des marches. Cet homme, fier de ses racines, hésite quelques instants en bas de l'escalier. Il se prends le menton entre le pouce et l'index d'un geste trahissant sa reflexion.

- Ou sont elle rangées?

Il décide d'essayer dans le grand salon, c'est là que la plupart des chandelles sont consommées, il semble logique d'en trouver par là. Il entre à grand pas dans la pièce et va droit vers un grand meuble. Il ne s'arrête qu'au moment ou il pose la main sur le premier tiroir. Il semble hésiter puis se retourne doucement pour s'assurer qu'il a bien vu une silhouette inconnue jusqu'alors en ce lieu mais qu'il a aperçue plusieurs fois à Limoges. Dame Ewaele, digne et fière fille d'Irlande, comme le propriétaire des lieux et son neveu. Il laisse de coté sa quête de bougies pour aller saluer la Vicomtesse et se rapproche des convives.

- Bonjour Ewaele, je suis content de te voir ici. Le manoir te plait?

Il tire une chaise et pose son séant dessus avant de se servir un verre de la bouteille présente sur la table. Peu importe le contenu pour son palais, puisque la bouteille viens certainement de la réserve du domaine dont Bosan McTyle est le fier garant des valeurs.

Invité

Une terre nouvelle égale à de nombreux lieux inconnus. Depuis son retour de la guerre, Ewa n’avait pas vraiment eu de moment à elle et la précipitation des évènements s’était fait pesante. Ce qu’elle voulait : un moment de détente.
Et elle n’attendrait pas qu’on lui donne la permission de le faire… Cette invitation tombait à pique, elle n’était vraiment pas mécontente de l’avoir acceptée.

La Comtesse de La Roche Aymon, n’avait rien perdu de ses habitudes en prenant un titre… Habillée de braies en cuir noir, de longues bottes, remontant jusqu'à mis cuisse elle avait ajouté de la couleur avec son bustier de soie émeraude. Elle posa son verre et détacha ses longs cheveux roux, c’est à ce moment qu’elle entendit une voix qu’elle connaissait et qui étira un sourire sur ses lèvres. Elle laissa ses cheveux filer entre ses doigts alors que son visage se tournait vers l’homme qui prenait la parole
D’une main rapide, elle attrapa son mantel, aussi sombre que le reste de sa tenue, et le posa avec délicatesse sur ses épaules, comme si elle avait besoin de se protéger de quelque chose. Jeune femme sauvage, elle avait du mal à se laisser apprivoiser aussi facilement, son mantel en protection comme un bouclier qui ne ferait jamais le poids…

Sa poitrine dans un reflexe se leva avant de répondre à Miotas… Bonjour… Elle le regarda évoluer et s’installer près d’eux… Ses gestes étaient presque rassurant tellement ils étaient précis… Je suis ravie aussi de te rencontrer icelieu… Ses mots furent accompagnés d’un sourire plus franc et ses yeux s’invitèrent sur son visage un instant, c’est à ce moment que sa cape glissa doucement de ses épaules et laissa voir sa peau dénudée… Elle n’y prêta pas plus d’attention que cela s’apprêtant à reprendre la parole. Je n’ai pas eu l’occasion encore de vraiment découvrir le domaine, surtout son intérieur, le peu que j’ai vu, m’a comment dire… Séduite, réchauffée, ça m’a rappelé des choses et sans doute fait remonter à la surface des souvenirs enfouis depuis fort longtemps… Elle quitta son visage pour laisser ses yeux se perdre un instant… Puis d’un coup affichant un sourire en coin… Mais pour les extérieurs, je dirais que j’ai eu tout le loisir de les admirer en attendant que ton Oncle reprenne contenance… Elle glissa son regard vers Mac avec un petit air canaille qui lui faisait remonter son nez de façon enfantine… ‘Fin a l’occasion il te racontera tout cela je suppose… Elle regardait tour à tour les deux hommes amusée de la situation qu’elle avait pu provoquer a son arrivée et se demanda qu’elle attitude aurait eu Miotas si ça avait été lui… Elle baissa finalement les yeux pour ne pas trahir ses pensées.

Je n'avais pas attendu la réponse de nos domestiques, je savais que les instructions seraient suivies. J'avais toute confiance en Briana... Léonie que je n'avais pas encore vue m'avait été recommandée par Léa et ne pouvait pas être au dessous de nos espérances.

Je revins donc auprès de notre invitée lorsque la porte s'ouvrit sur Aon qui, visiblement cherchait quelque chose... Ah... le sacripant... une ponction dans notre Uiscè sans aucun doute pensai-je en souriant...Mais je le vis se diriger vers Ewa qui venait de vider son gobelet. Je les rejoignis, heureux d'enfin croiser mon trop sérieux neveu.

- Dis-donc, vaurien... lançai-je en riant... Crois-tu boire tout seul ?... Ne vois-tu pas deux récipients désespérément vides ? ajoutai-je en désignant nos gobelets

- Bonjour Ewaele, je suis content de te voir ici. Le manoir te plait?

Ewaele semblait planer entre rêve et réalité... ses dernières paroles me laissaient songeur... Erin... l'ile verte... verte comme les yeux de la belle rouquine... Oui... elle devait aussi se perdre en rêves mélancoliques, elle qui fut déracinée toute petite.
J'avais eu la chance de passer mon enfance et mon adolescence entouré des miens dans ma patrie... Mais je savais ce qu'elle pouvait ressentir... L'Irlande semblait si lointainne, presque irréelle... Une Terre mythique... Avalon... Atlantide... Presque oubliée... perdue dans les tréfonds de notre mémoire.
La reverrions-nous un jour ?

St Amand ?... nous l'avions, Aon et moi, transformé inconsciemment en une espèce d'enclave irlandaise en terre limousine. C'est cela sans doute qui avait dû jeter le trouble en l'esprit de la jeune femme.. comme si le passé rattrapait le présent...
J'avoues que c'est cela qui me permettait de supporter mon exil.
Bien sûr, mon mariage et la promesse d'une naissance y contribuait aussi, ô combien... Mais tant d'épreuves douloureuses jalonnaient ma route depuis vingt ans que même ce bonheur ne suffisait pas à effacer totalement ces années d'errances et de souffrances.

Et Aon... lui qui avait tout perdu là-bas... quelle déchirure ce devait être pour lui... A ma connaissance, j'étais sa seule famille. Il devait lui avoir fallu bien du courage pour partir à ma recherche... Pari hasardeux... mille fois j'eus pu trouver la mort, le laissant seul en terre étrangère !

Mais ce bougre d'entêté avait lui aussi entamé sa propre quête en partant à ma recherche... Rien que pour cela, je lui vouais un amour inconditionnel.

Cela me faisait chaud au coeur de voir le Manoir devenir une espèce de hâvre de paix... loin des turpitudes politiques, économiques et sociales du Limousin... loin des ronds-de-jambes et de l'hypocrisie d'une certaine noblesse imbue et hautaine.
J'avais davantage l'habitude de la vie au grand air et du contact avec la nature, les combats aussi avaient été longtemps mon lot quasi quotidien...

J'avais donc toutes les raisons de me réjouir ici... le bout du tunnel ?... Wait and see...

Je fus tiré de ma rêverie par les paroles d'Ewa... inconsciemment, je m'étais réinstallé à maplace tandis que les jeuns gens bavardaient...

- .... Mais pour les extérieurs, je dirais que j’ai eu tout le loisir de les admirer en attendant que ton Oncle reprenne contenance…

- Pardon ?... me remettre... By Jove Ewa... Je partis d'un grand éclat de rire... Racontes-lui toi-même... cela vous fera des souvenirs...

- Mais, cela dit, repris-je plus sérieusement, J'ai encore une masse de travail qui m'attend... puis-je vous demander la permission de me retirer ?... Je ne serai pas loin... dans mon bureau... nous nous reverrons au dîner, si vous le voulez...

Je me levai et m'éclipsai discrètement...

Invité

Elle c’était levée quand Mac avait émis l’envie de se retirer, plus par politesse et habitude, la bienséance, il y avait encore quelque temps de cela, elle n’aurait sans doute pas levé son séant, mais voilà, tant de choses avaient changé depuis son retour de guerre… Elle sourit à l’Irlandais qui rejoignait son bureau et de nouveau se laissa choir…

Cuissarde en cuir qui crissa légèrement, alors qu’elle croissait les jambes, posant une main sur ses genoux, attentive aux mouvements de l’homme qui était resté en sa compagnie…

Pour patienter Ewaële avait entreprit une analyse plus fine des lieux. Dans cette pièce où elle n’était pas seule, se retrouvant plongée dans un silence, enfin avec elle-même et un compagnon pas très bavard, la une forme de solitude pris le pas, elle se sentait bien. Les foules, bien loin d’elle, elle pouvait enfin redevenir elle-même sans avoir à paraître. Tout ces sens aux abois, elle regardait les alentours, mais la pièce ne comportait rien d’inquiétant. Elle renonça bien vite à voir cette pièce préférant l’écouter.

Au début elle n’entendit pas le moindre bruit. Puis lui vint enfin le lointain écho d’aller et retour effrénés, très certainement des servants. Elle perçut bien plus faiblement de faibles paroles, mais ne pu néanmoins en comprendre le sens. Son analyse de la pièce non terminé, elle tapota du pied le sol et en écouta la résonnance. Elle recommença plusieurs fois son manège, avec un pied, puis l’autre, et ainsi de suite.

Satisfaite de son examen, la jeune femme se pencha sur son bustier et s’amusa avec les plis de celui-ci. Elle jeta un regard en coin au jeune forgeron qui était avec elle dans la pièce et qui dégustait le liquide qui se trouvait dans son verre… Elle n’osait rompre ce moment à la fois lourd car aucun des deux ne prenait la parole et en même temps si doux, si reposant… Elle observait son visage, le détaillant. Elle cherchait ses yeux, et soudain il releva la tête d'un mouvement rapide, surprenant. Leurs regards se croisèrent... ou plutôt s'entrechoquèrent !

Le plus vieux des deux Irlandais quitte la pièce, laissant son neveu en compagnie d'Ewaele. Le jeune forgeron est penché au dessus de son verre, son regard scrutant le fond du gobelet sans rien chercher de particulier pendant que ses pensées vagabondent, guidées par les vapeurs qui s'échappent du breuvage. Des souvenirs reviennent à la surface, lui faisant perdre toute notion de son voisinage direct. Il s'est à peine rendu compte du départ du maitre des lieux et ne vois pas Ewaele le dévisager. Le silence le tire doucement de sa rêverie et lorsqu'il lève les yeux de son verre, il le plante involontairement dans celui de sa voisine.

- Excuse moi mon amie, j'étais perdu dans mes souvenirs.

Il pose son verre sur la table, s'assoie droit dans la chaise en face d'Ewaele et la rapproche pour pouvoir discuter plus facilement.

- Tu reste avec nous ce soir?

Invité

Elle était restée perdu ainsi avec son regard dans le sien ailleurs, autrement… Sans se rendre compte du mouvement de Miotas pour s’approcher d’elle… Une fois sorti de ses rêveries, elle sentit enfin le contrecoup de la pression. Elle se serait crue la tête coincée dans un étau, son corps lui sembla soudain lourd à porter, c’était une douleur supportable mais cela la rendait nauséeuse.

Tant de nouveautés en si peu de temps, son regard se perdit aux alentours. Elle était au centre même d’un grand salon, et bizarrement, elle se rendit compte de sa présence auprès d’elle… Son cœur battait trop vite…

Un frisson parcouru tout le corps de la jeune femme, la voix du forgeron résonna alors «Tu restes avec nous ce soir ? » Peut être avait-il parlé avant mais elle n’y avait pas prêté attention… Elle s’accorda un moment de réflexion... Elle balbutia alors d’une voix presque inaudible… « Oui, ‘fin oui je pense oui… » Réfléchissant encore un instant elle releva la tête fièrement et s’exclama en souriant pour cacher le léger malaise qui l’avait secoué, espérant qu’il n’avait rien remarqué… « A moins que tu trouves un inconvénient a ce que je reste ! A ce moment là, je prendrais le chemin pour rentrer à Limoges… »

Puis oubliant pourquoi elle était venue ici, elle fixa ses yeux sur lui, hésitante a se lever et se retirer... Encore farouche, l’apprivoiser pour qui ne la connaissait pas, n’était pas chose aisée. Elle faisait un pas en avant et dix en arrières… Il fallait de la patience pour que le papillon entre ouvre sa chrysalide…

D’un coup les alentours se mélangèrent, dans un dédale de couleurs un spectacle que personne ne pouvait briser, Elle ferma les yeux de peur qu’il se rend compte de quelque chose et agrippa le fauteuil ou elle s’était installée. Balayant une mèche rousse qui lui tombait sur le visage, elle ouvrit ses émeraudes, éclat de vert brillant qui vinrent s’immiscer dans les prunelles de son vis-à-vis, un doux sourire sur les lèvres se voulant rassurante… Elle ne bougeait plus comme figée dans le temps, se concentrant sur lui pour reprendre ses marques, calmer les maux qui la poursuivaient inlassablement, mais qu’elle ne pouvait expliquer… Son visage à la rencontre du sien s’adoucit, devint serein… Son cœur reprit un battement normal et sa tête enfin se libéra des douleurs qu’elle savait si bien lui infliger… Comme si, à lui seul, par sa présence, son regard, il avait réussit à chasser ses démons.

Un détail, juste un menu détail dans le comportement de l'Irlandaise en face de lui le mettait mal à l'aise sans qu'il puisse mettre le doigt dessus. Il n'avait pas envie de quitter la pièce, il appréciait la compagnie d'Ewaele mais sentait que quelques chose allait de travers. Décidant de ne plus se préoccuper plus avant de cela et de chasser les ombres, il se focalisa sur la conversation.

- A moins que tu trouves un inconvénient a ce que je reste ! A ce moment là, je prendrais le chemin pour rentrer à Limoges…

Il ne voyait absolument aucun inconvénient à ce qu'elle reste. Elle est une amie de la famille et une fille d'Irlande, même si elle n'a quasiment pas connu son pays, son sang est irlandais. Elle a parfaitement sa place dans ce manoir sentant bon la verte Irlande.

- J'aimerais que tu reste, tout comme Mac et Léa je pense. Mais la décision t'appartiens.

Il planta, plus avant, son regard dans le sien pour essayer de saisir son trouble malgré sa résolution prise quelques secondes plus tôt. Il ne comprenait pas ce qui pouvait la troubler en ce lieu mais ne pouvait se résoudre à lui poser les questions qui auraient permis de lever le voile. Ce diable de forgeron au sang Irlandais ne fonçait tête baissée qu'au combat. Pour le reste, il n'était pas du genre démonstratif à part en taverne avec quelques bières dans l'estomac.

Invité

Elle répéta la phrase dans sa tête, du moins le début… Il aimerait que je reste… Les mots qui suivirent, n’eurent pas le temps d’arriver à elle, qu’un sourcil interrogateur s’inscrivit sur son visage…

Elle resta perplexe un moment, puis vit son regard essayer de lire en elle, et un sourire s’afficha sur ses lèvres… Elle aurait pu être troublée, mais ce n’était pas le cas… Elle ne le quittait plus du regard, comme un jeu… Le premier qui baisserait la garde…

Oui je vais rester… Par envie et par plaisir, car je découvre ici un havre de paix, qui je dois l’avouer me fait du bien… Je ne pensais pas ressentir ce genre de chose ailleurs que dans des endroits que j’ai aménagés et qui sont à mon image…

Et puis se manoir doit cacher encore bien des choses… Alors pourquoi ne pas prendre la peine de profiter d’agréables compagnies pour découvrir, apprendre et m’enrichir encore un peu plus de la culture irlandaise qui est censée être la mienne. Ses doigts nerveusement jouaient sur ses cuissardes tantôt par des petits va et vient du bout des ongles, tantôt en essayant de les remonter discrètement alors qu’elles étaient en place… Ce petit geste c’était accentué au fur et à mesure que leurs yeux se scrutaient, se dévisageaient, s’apprivoisaient… Sans toutefois se quitter un seul instant.

Et la compagnie de mes hôtes et de la plus chaleureuse, c’est un réel plaisir et honneur que de partager leur… votre table… Je me doute déjà que je passerais un moment sans doute et encore inoubliable… Vous avez avec Mac une telle façon de raconter l’Irlande, vous avez cette flamme au fond des yeux qui s’allume, on entendrait pratiquement l’accélération de vos cœurs, tellement vos dirent vous transportes et nous font voyager par la même occasion…

Et puis il y a ici cette atmosphère, celle que mon père avait recrée chez nous en Auvergne, je ne saurais trop l’expliquer, mais j’ai tout qui vibre en moi, un appel, un halo de lumière qui prend forme et qui, j’ai l’impression, me mène hors cette demeure, bien au-delà des eaux… Sur ces landes verdoyantes si souvent contées… Elle se tut, se rendant compte qu’elle monopolisait la conversation, un petit éclat différent vient enrichir le vert de ses yeux…

Aon Miotas écoutait avec attention les mots d'Ewaele, plongé dans son regard sans la moindre espèce d'attention pour le reste. Sa façon de décrire le bien-être que lui procurait le manoir, que le jeune forgeron ressentait aussi lorsqu'il pouvait passer du temps entre ces murs, lui fit remonter les souvenirs de son Ireland natale. Lorsqu'Ewaele eu finit de parler, le jeune Irlandais attrapa son verre et versa le reste du breuvage dans son gosier avant de se lever en remettant son kilt en place. Elle voulait parler de l'Ireland, il allait lui en faire le conte le temps que le maitre du domaine revienne.

- Je vais te conter l'Ireland de mes souvenirs, celle qui a bercé mes jeunes années et qui est ancrée dans mon coeur.

Il la regardait droit comme un i, fier de ses origines Gaéliques. Il ferma les yeux quelques instants pour laisser affluer les souvenirs de son pays puis les rouvrit pour regarder la rousse au yeux verts assise en face de lui.

- C'est un pays magnifique. Les landes s'étendent à perte de vue en étalant le même vert que tes yeux. Ce vert me manque souvent, j'arrive à retrouver parfois les même teintes au printemps mais il manque cette atmosphère si particulière du pays. Je sais que j'y retournerai un jour. Je ne veux pas mourir et finir loin de mes racines.

Il tait volontairement l'occupation de l'île par les Anglois pour ne pas parler de choses négatives, même s'il sait que sans eux la vie en Ireland serait bien meilleure.

- Notre pays renferme de vrais trésors. Non pas monétaires comme les français les aiment mais des trésors naturels. Je te parle de Bearna an Choimín avec sa route qui serpente entre deux sommets. Je pourrais aussi te parler des lacs et des collines du Conamara avec Na Beanna Beola, je suis monté au sommet escarpé et aride du Binn Chorr une fois avec mon père. La vue de la haut a quelque chose de magique, on se sent tout petit. Autre site magnifique chez nous, dans le comté de Clare tu pourra trouver les Aillte an Mhothair, ces falaises magnifiques et escarpées peuvent faire jusqu'à plus de deux-cents mètres de haut et s'étendent sur huit kilomètres environ. Le jeu des gosses alentours est de se pencher au dessus du vide en étant soutenus par le vent qui monte de la mer.

Il s'emballe, se lançant dans une description des jeux qu'il pratiquait dans son enfance et des lieux enchanteurs de son Ireland natale.

Invité

Elle l’écoute, elle le regarde, elle l’entend… Elle lit dans ses yeux et boit sur ses lèvres, il la nourrit de ses mots enchanteurs qu’elle ne comprend pas tous, mais voilà elle est captivée et ne voit plus que lui, n’entend que sa voix qui la berce, qui fait battre son cœur plus que de raison. Elle aimerait qu’il continue ainsi des heures durant, elle aimerait qu’il la face traverser ces océans, elle voudrait lui prendre la main et courir dans ses landes… Alors qu’inconsciemment sa main c’est tendue vers lui pour prendre une des siennes… Elle ne se rend pas compte de son geste…

Elle aimerait sentir le vent sur elle aussi glisser, pénétrer ses vêtements, faire voler ses cheveux, frôler sa peau et la faire frissonner… Frissonner et se faire peur au dessus de ses falaises… Elle ferme les yeux et imagine le ressac… Alors qu’il se tait, une voix presque enfantine la sienne, se met à conter, a parler… Sans doute une légende que son père a du souvent lui dire le soir avant de s’endormir, c’est machinalement que ses lèvres bougent et qu’elle raconte… Ses yeux toujours dans les siens, sa main s’agrippant un peu plus à la sienne… Elle se rapproche de lui, et sa voix se fait murmure, son souffle venant se finir sur lui…

Il y a de cela bien longtemps l'héritière de la ferme d'Eary Cushlin accoucha. Eary Cushlin est un endroit terriblement isolé ; il se tient tout là-haut au bord de l'Eanin Mooar, le grand précipice entre les falaises de Cronk-yn-Irree-Laa. On pouvait vivre là pendant des mois sans voir un visage et personne ne sut rien de cette naissance. Cette naissance n'était pas souhaitée et l'enfant mourut presque aussitôt. Sa mère le soir de sa mort l'emporta sur l'étroit chemin qui surplombe les rochers, au-delà de l'endroit où les eaux se précipitent dans la crique de Gob-yn-Ushtey, au-delà de Ooig-ny-Goayr, à la caverne de la chèvre, à Traînent-ny-Keilley. Elle l'enterra dans les ruines du petit Keeil isolé qui était à flanc de colline depuis plus de quatorze cent années, puis s'en alla sans autre cérémonie.

Peu de temps après quelques pêcheurs d'aiglefins de Dalby allèrent tendre leurs lignes : il y avait la Mamie Chanceuse du Lagg, le Fumeur Bossu et le Petit Porc de Cubbon Aalish, Boid-y-Conney de Cleary dans la gorge Rushen, et d'autres, dix en tout. Ils répétaient que quelque chose d'étrange se passait du côté de Traînent-ny-Keilley et que les hommes auraient mieux fait d'aller à la pêche sous l'ombre noire de Cronk-yn-Irree- Laa, la colline du jour levant. Du côté de Traînent-ny-Keilley, les embarcations dérivaient tantôt vers le sud avec la marée montante, tantôt vers le nord avec le reflux, passant et repassant devant le rivage sans pouvoir jeter l'ancre. On voyait apparaître une grande lueur et on entendait des lamentations et des pleurs, comme ceux d'un petit enfant perdu. À la fin, la lumière remontait vers le vieux Keeill et s'éteignait. Les hommes en furent si effrayés qu'ils décidèrent de ne plus aller dans la crique la nuit venue et se contentèrent de rester à terre, pour pêcher dès que le soleil commençait à se rapprocher de l'horizon.

La vie était devenue tellement difficile pour les femmes et les enfants que le vieil Illiam qui n'avait pas pris la mer depuis de nombreuses années, décida de se rendre là-bas en barque pour voir ce qui s'y tramait. On lui fit confiance, on disait de lui : "Le vieux Illiam est un sage ; il sait des prières, il est capable, il connaît des moyens et il a de la volonté." C'était ainsi à cette époque-là.

Son embarcation pénétra dans la crique ; l'équipage était effrayé. La nuit était douce et agréable et claire sous la lune. La barque se rapprocha de la côte et vers le Gob-yn-Ushtey, il entendit pleurer et pleurer. Penché sur ses avirons, il écouta encore et il entendit un petit enfant pleurer : "'elle lhiannoo prie le mee d'ennym de dyne !", c'est-à-dire : "Je suis un petit enfant sans nom !"

"Rapprochez-vous encore" commanda Illiam en l'entendant. Ils se rapprochèrent autant qu'ils purent de la côte et Illiam aperçut un petit enfant sur la rive qui tenait une bougie allumée dans sa main.
" Que Dieu me bénisse, compagnons, il lui faut un nom !" dit Illiam. Il ôta son chapeau, se mit debout dans le bateau et aspergea l'enfant qui pleurait là-bas : "Si tu es un garçon, je te baptise Juan, au nom du père, du fils et du Saint Esprit ! Si tu es une fille, je te baptise Joanney, au nom du père, du fils et du Saint Esprit !"

Les pleurs cessèrent immédiatement et on ne les entendit plus jamais. La lumière s'éteignit et on ne la revit plus jamais.

Et le silence envahi le salon, ils étaient là perdu dans les yeux de l’un et l’autre…

Il écoute la voix d'Ewaele raconter cette légende, des mots qu'il n'avait plus entendus depuis son enfance mais qui reviennent à la surface comme une bulle d'air dans un lac et qui finissent en un murmure sur ses lèvres en écho à la rousse aux yeux verts en face de lui. Un conte triste mais qui a bercé nombre de soirées pendant ses jeunes années. Il reste là, en face de la comtesse, à faire écho à ses paroles sans arriver à décrocher son regard du sien, sans comprendre pourquoi il se souvient si bien de cette légende sans l'avoir entendue, ni y avoir pensé, depuis bien des années.

Lorsqu'Ewaele se tut à la fin du conte, Aon était subjugué par ses yeux verts et ne trouva qu'une chose à dire, un seul mot mais lourd de sens à propos de ce qu'il venait de vivre pendant ses quelques instants. Il le chuchota à l'oreille de l'Irlandaise après s'être approché d'elle.

- Merci.

Puis il la serra tendrement dans ses bras.

Invité

Et là le temps s’arrête, elle ne pense plus, ne sait plus, elle est tout contre lui, dans ses bras, moment de réconfort, moment de doute, moment d’abandon… Et le silence envahit la pièce…

Silence

Sinueux, insidieux souffle engeance du néant, sa salvatrice solitude asservit, sereine, cent sbires dés amourés...
Tous s'enchainent à cette espérance qu'on rêve, mirage quotidien d'autres histoires.
Un cri sur la partition du silence... Comme tomberait une goutte de sang.
Silence... silence seigneur sans terre fuyant le jour, la nuit n'est ton royaume que le temps de soupirs qui, fragiles, s'évaporent en odes à d'autres extases… Silence chimérique, muet hymne de paix brisé de son invocation, Elle entend sa musique jusque dans le néant… Ses harmonies irréelles, vivantes incantations, font taire le bruissement de ces murmures annonciateurs.

Le silence s'est fait terre d'accueil elle est nue de sa transparence, nue sous sa carapace mutique, nue, sans lumière aucune.
Il est ce souffle qui écroule les murs, cette étincelle sombre qui embrase le flambeau de la liberté…
Silence qui désincarnent les âmes, ignorant les corps ces palais de poussière. Le sang du cœur laissant son empreinte… Celui qui coule dans ses veines est parole d'étoile.

Leur deux corps restent immobiles, serrés l'un contre l'autre dans une tendre étreinte. Le jeune Irlandais perds toute notion de temps et d'espace. Il ne goute que le doux parfum de la femme qu'il tiens dans ses bras. Des bruits de pas se rapprochent... Il est ramené à la réalité bien brutalement. Un roturier comme lui tenant dans ses bras une comtesse. Il ne pouvait risquer de provoquer le déshonneur de la douce Ewaele.

Il relâche son étreinte et s'éloigne de quelques pas d'elle mais finalement les pas s'éloignent dans le couloir. Même s'il a confiance dans les gens au service de son oncle, Saint-Amand-le-petit accueille suffisamment de visiteurs pour ne prendre aucun risque.

Il regarde Ewaele en plantant ses yeux bleux dans le regard vert émeraude de la belle Irlandaise. Sa seule préoccupation pour l'instant est de préserver son honneur et sa réputation.

- Nous ne pouvons nous afficher ensemble au grand jour, mais j'aime passer du temps en ta compagnie. Pardonne moi mon espièglerie, je me suis laissé emporté par les souvenirs.

Invité

Légère et silencieuse, ses pas brisèrent un peu plus l’échange qui venait d’avoir lieu, foulant la dalle du grand salon, elle se dirigea vers une fenêtre. Elle plissa les yeux, comme pour mieux contempler les profondeurs de la nature… Elle avait entendu ses mots, elle avait senti le départ de la chaleur qui fut un temps tout contre elle… Elle hésita un long moment, ne sachant pas vraiment quoi faire.

Son esprit plongea rapidement dans un état proche de la méditation. Passé et présent se mêlaient : le temps n'avait plus d'emprise.
Une mélodie lui parvint, comme étouffée, et il lui sembla percevoir un mouvement. Mais son esprit embrumé ne chercha pas à prendre en compte ces évènements. Elle plongeait un peu plus, au rythme de la musique triste qui flottait dans sa tête, sans même s'en rende compte. La mélodie se mariait si bien avec son état d’esprit...

Leurs regards se croisèrent, se cherchèrent, s'arrimèrent l'un à l'autre, niant la séparation passée… Elle ne se donna pas la peine d'émettre une seule pensée tant elle était rivée dans ses yeux… Oh combien douloureuse.

Et sans un regard en arrière, Ewa voulut se fondre dans l'ombre du couloir, et disparaitre par l'embrasure de la porte, sentant sur elle peser le regard de Miotas. Une criante injustice lui fêla le cœur. La simple pensée que cet homme veillait sur elle, fut-il gueux, où seigneur de sa race, fut-il rongé d'inquiétude, suffisait à la rasséréner.